Marianne
Pernoo
Ancienne normalienne,
agrégée de lettres classiques, titulaire d'une
thèse
de troisième cycle, conservateur en chef des bibliothèques
(ENSSIB)
Marin Dacos
Agrégé d'histoire et allocataire
moniteur en histoire comptemporaine (Lyon 2)
Fondateur de Revues.org, fédération de
revues scientifiques en SHS sur Internet
Marianne
Pernoo (ENSSIB) : Marin DACOS, vous éditez le site www.revues.org
depuis deux ans. Vous avez une expérience d'éditeur de site
et de mise en ligne de revues à caractère universitaire, particulièrement
dans le domaine de l'histoire. Vous avez en particulier l'expérience
de transcription de revues papier pour Internet. Pouvez-vous
nous préciser comment le projet est né et comment ?
Marin Dacos : A l'origine, Revues.org
est né du besoin exprimé par plusieurs revues universitaires,
au premier rang desquelles il y avait Ruralia et les
Cahiers d'histoire. Ces revues avaient besoin d'une
visibilité plus grande car elles n'avaient pas tout à fait
le public qu'elles méritaient en fonction de leurs qualités
et elles ont pensé que le passage sur Internet permettrait
de s'ouvrir à un public plus large. Etant chargé conjointement
de Ruralia et des Cahiers d'histoire, c'est
tout naturellement que je me suis rendu compte que faire le
travail en double était une aberration et très rapidement,
j'ai pensé qu'il fallait réunir ces deux revues qui seraient
l'embryon d'une fédération plus vaste. Si j'avais des problèmes
techniques de mise en ligne, sans doute d'autres les ressentaient
également. Par ailleurs, j'étais tout à fait conscient de
la difficulté de faire connaître l'existence d'un site, toute
la difficulté n'étant pas d'exister mais d'être lu. La logique
de la fédération permettait de faciliter le travail du webmaster
que j'étais et de cumuler l'effet de visibilité de chacune
des revues. 
MP
: J'ai une question à vous poser, si ce n'est pas indiscret,
sur le nombre d'abonnements aux revues papier, Ruralia et
Cahiers d'histoire. Pouvez-vous nous dire si la mise en ligne
a modifié les abonnements ?
MD : Ces chiffres sont confidentiels,
et je ne les connais pas en détail. Mais il y a un certain
nombre de chiffres qui sont publics et que je peux donc révéler,
puisque je les ai publiés ailleurs. C'est de l'ordre de plusieurs
centaines d'abon- nés, mais moins de 1.000, sachant que les
Cahiers d'histoire est une revue existant depuis 1956
et Ruralia depuis 1997 : les Cahiers d'histoire
sont une vieille dame honorable et Ruralia, une jeune
fille fringante. Donc, évidemment, les Cahiers d'histoire
ont un peu plus de portée. Je ne pense pas qu'actuellement
la mise en ligne ait eu un impact notable sur les abonnements,
bien que l'on ait reçu quelques abonnements par le formulaire
sur Internet et que l'on reçoive très fréquemment des sollicitations
de la part d'auteurs ou de lecteurs qui prolongent une lecture
qu'ils ont faite sur le web. A ce jour, il n'y a pas d'effet
important sur le nombre d'abonnements mais, ce qui est certain,
c'est qu'il y a un véritable effet sur la visibilité des revues.
Nous aurons sans doute l'occasion de reparler de l'écho du
site.
MP : Craignez-vous que la publication en ligne
du texte intégral ait une influence négative sur les abonnements?
MD : Pour l'instant, aucune des revues
de Revues.org ne propose de mise en ligne intégrale
car les responsables des revues ont considéré que ce n'était
pas viable en l'état, en raison de la nécessité d'amortir
les frais de publication papier qui sont, comme vous le savez,
très importants. Je participe aux comités qui publient Ruralia
et les Cahiers d'histoire et nous avons décidé de publier
le plus de documents possible, tout en maintenant pour l'instant
une priorité à l'édition papier. C'est pourquoi ces deux revues
ont opté pour une publication partielle, c'est-à-dire : tables
des matières, résumés en français et en anglais et une publication
d'un ou deux articles en texte intégral par an de façon à
montrer, quand même, des documents plus élaborés. A cela s'ajoute
la totalité des comptes-rendus de lecture, des notes critiques
et de l'actualité scientifique, qui ont été publiés depuis
la mise en ligne des revues. Ces revues mettent par conséquent
en ligne environ 600 fichiers HTML différents. La ligne de
conduite des revues qui sont arrivées dans la Fédération par
la suite est un peu différente, notre politique prévoyant
une grande liberté pour chaque périodique. Chaque revue a
donc sa propre stratégie. Dans les Annales historiques de
la Révolution française, par exemple, il n'y a qu'un article
en texte intégral, qui présente une publication importante.
La Revue d'histoire du 19e siècle prévoit la mise en ligne
du texte intégral de ses numéros épuisés. La REMMM a décidé
de publier l'intégralité de ses notes de lecture. Il faut
noter qu'il s'agit d'un effort important de la part des revues,
dans la mesure où une partie des abonnements est motivée par
l'existence de ces comptes-rendus. Tout le monde, je pense,
le reconnaît. Les articles sont, en général pointus et ne
concernent souvent qu'une partie des abonnés. En revanche,
les comptes-rendus balisent l'actualité scientifique et permettent
au lecteur de se tenir au courant de l'activité du livre,
ce qui est un travail très important à la charge des revues.
Ce n'est pas du tout anodin que ce soient les comptes-rendus
qui soient publiés par plusieurs des revues qui adhèrent à
la fédération. Je pense que c'est un choix relativement risqué
de la part des revues ; elles auraient pu inverser la logique,
ne mettre en ligne que ce qui est publié à long terme, c'est-à-dire
les articles, et décider de ne pas publier le court terme,
c'est à dire les comptes-rendus et l'actualité scientifique.
De toute évidence, les deux univers - électronique et papier
- sont encore séparés, ce qui veut dire que je suis intimement
convaincu qu'une publication intégrale n'arrêterait pas, à
moyen terme, les abonnements. En l'état actuel des pratiques
scientifiques, le public du papier ne recouvre pas vraiment
celui de l'électronique. D'ailleurs, la mise en ligne n'a
pas provoqué de baisse des abonnements. C'est plutôt le contraire
qu'on constate.
MP : A terme, une
prééminence de l'électronique vous semble-t-elle possible
? Est-ce que cela fait partie de la politique des revues ?
MD : Il faudrait ici dissocier l'opinion
des initiateurs de Revues.org dont je fais partie et
l'opinion des revues. Du point de vue des revues, il me semble
qu'actuellement le papier règne en maître incontesté en raison
de son prestige et de la sécurité de conservation. Du point
de vue de Revues.org, il est certain que notre analyse
est un peu différente et qu'elle se tourne plutôt vers l'avenir
: les revues coûtent très cher à diffuser sur papier et en
raison de ce coût, sont mal diffusées. Leur lectorat sera,
de toutes façons, toujours très restreint, cela est certain,
mais aujourd'hui, une partie du lectorat potentiel n'est pas
atteinte en raison du problème des coûts que je viens d'évoquer.
D'une part, les éditeurs perdent de l'argent ou ont du mal
à rentrer dans leurs frais et, d'autre part, un certain nombre
de lecteurs n'ont pas les moyens d'acheter les revues. Il
me semble que le papier représente de nos jours un coût trop
important pour la masse de personnes qui sont susceptibles
de lire ce type de travaux spécialisés. Un tel discours n'est
pas encore admis par les revues, et fait même l'objet d'un
débat au sein de l'équipe de Revues.org, ce qui est
tout à fait compréhensible. Nous sommes donc en faveur d'un
passage à l'électronique progressif en fonction de l'évolution
des cultures de chaque communauté scientifique et de chaque
spécialité. Revues.org a mis en place des solutions
techniques qui permettent un passage intégral à l'électronique,
avec ou sans maintien du papier. L'existence parallèle d'une
version papier n'est pas une question que doit résoudre Revues.org.
Nous nous contentons d'offrir aux revues les moyens techniques
leur permettant d'être exclusivement électroniques et d'acquérir
ainsi une très grande indépendance financière. C'est une solution
tout à fait envisageable et particulièrement noble. Après,
il faut que les choix politiques soient faits par les revues
elles-mêmes et ce sont vraiment, à mon avis, des choix identitaires
; il faut donc laisser le temps faire son oeuvre.
MP : Question annexe qui
tourne autour du même sujet : envisagez-vous d'accueillir
des revues exclusivement électroniques ou l'avez-vous déjà
fait ?
MD : A présent, ce n'est pas le cas.
Nous avons toujours été contactés par des revues qui ont un
existence sur support papier et qui souhaitaient avoir une
visibilité électronique. Il n'y a cependant aucune opposition
à ce que d'excellentes revues intégralement électroniques
passent par Revues.org pour se faire connaître. Ce
serait dans la logique des choses mais il semble qu'actuellement
les revues électroniques aient du mal à émerger, en tous cas
dans les disciplines qui ont été au départ à l'origine de
Revues.org, en particulier l'histoire et les sciences
sociales. Des initiatives ont eu lieu. Certaines ont avorté,
d'autres semblent mettre du temps à émerger. Manifestement,
l'électronique n'a pas la même aura que le papier. Or, l'offre
de périodiques scientifiques est déjà pléthorique et pour
motiver la mise en place d'équipes, il faut une légitimité.
J'ai peur qu'actuellement la légitimité électronique soit
trop faible. Cela changera sans doute très prochainement et
Revues.org est tout à fait prêt à accueillir des jeunes
revues électroniques. Elle remplirait totalement la mission
qu'elle s'est fixée en soutenant la création de revues électroniques
de très grande qualité. 
MP : Nous allons un peu
entrer dans le détail de l'organisation du travail. Comment
se passent le travail éditorial, l'évaluation des articles,
les relations avec les auteurs, les comités scientifiques
?
MD : Je répondrai très simplement dans
la mesure où Revues.org est une fédération et ne s'occupe
donc pas des choix éditoriaux des revues. Par conséquent,
chaque revue fonctionne comme elle fonctionnait auparavant;
son arrivée dans Revues.org n'a aucune incidence sur
son fonctionnement scientifique. Absolument aucune, je le
répète. Le seul aspect sur lequel nous intervenons est celui
de la mise en page, mais même sur cet aspect là, Revues.org
ne donne que des conseils et la revue est intégralement libre
de ses choix. Il n'y a donc pas de travail éditorial au sens
propre. Cela n'empêche pas Revues.org d'être structurée
autour d'un conseil d'administration composé d'universitaires
et de disposer d'un conseil scientifique composé de chercheurs
renommés. Notre rôle est de montrer que l'édition électronique
peut devenir une véritable édition au sens plein et noble
du terme. Si elle servait de prétexte à une autopublication
généralisée, ce serait inquiétant. Nous appliquons donc toutes
les règles qui régissent la communauté scientifique. L'édition
électronique ne doit pas devenir une édition de second rang.
C'est la raison pour laquelle nous sommes très sélectifs et
refusons beaucoup de revues candidates. De plus, nous fournissons
des services scientifiques : un service d'actualité scientifique
qui s'appelle Calenda, le calendrier des sciences sociales,
un catalogue raisonné de signets (Virtual Library), un moteur
de recherche spécialisé en SHS (Aleph, moteur de recherche
pour les sciences humaines), et bien d'autres sur lesquels
nous travaillons. De ce point du vue, nous avons nos propres
équipes d'universitaires, en général de jeunes universitaires
titulaires, par exemple, d'un poste de maître de conférence,
qui sélectionnent pour nous des informations scientifiques
ou des sites web et les commentent selon des critères scientifiques.
Nous avons d'autres projets comportant encore plus de travail
éditorial au sens propre. 
MP : Entrons aussi dans
le caractère technique du travail d'édition électronique.
Y-a-t-il une chaîne de production ? Quels sont vos choix en
matière de formats ?
MD : Il y a deux types de revues. Il
y a les revues qui gèrent en interne leur production et qui
en fait travaillent avec les fichiers confiés à l'imprimeur.
Elles utilisent des fichiers Word ou Xpress et les convertissent
de façon très artisanale en sites web. C'est la cas des Annales
historiques de la Révolution française et de la REMMM. Nous
les conseilles sur les aspects techniques comme les logiciels
à utiliser, les problèmes de compatibilité entre navigateurs,
l'optimisation des pages pour l'indexation par les moteurs
de recherche, etc. Ensuite, il y a des revues qui ont adopté
la chaîne de production que nous proposons et qui s'appelle
R2R (de Revue papier à Revue électronique). C'est un logiciel
que nous avons développé en interne en fonction de nos besoins.
Ce logiciel traite des fichiers Word puisque nous avons constaté
que c'était en général le format de base primaire utilisé
et envoyé tel quel aux imprimeurs. Par conséquent, les fichiers
Word sont retraités par notre logiciel qui tourne sous Linux,
un système d'exploitation libre. Il faudrait de petites modifications
mineures pour récupérer des fichiers RTF, par exemple. R2R
produit à la fois les pages des articles, les sommaires, les
index. Ces index sont au nombre de trois : index par auteur,
index par thème et index par période pour les revues historiques.
On peut très bien imaginer des classifications disciplinaires
différentes pour d'autres types de disciplines. Ce n'est pas
un problème technique. Tout cela est produit en HTML. Nous
utilisons des modèles appelés templates, qui sont en fait
des patrons graphiques sur lesquels sont plaqués les contenus
textuels. Cela permet de donner une uniformité très importante
à chacun des sites et donc de permettre une navigation plus
intuitive et plus simple puisque R2R propose la notion de
feuilletage de numéro de revue à numéro de revue et de feuilletage
d'article en article, ce qui permet de respecter une logique
de lecture de gauche à droite, comme elle existe actuellement
sur le papier. C'est une sorte d'émulation informatique d'un
système papier. Comme vous voyez, nous ne gommons pas la logique
du papier. Au contraire, nous la respectons. Mais nous lui
ajoutons des éléments spécifiquement électroniques, comme
le "moteur jaune", moteur de recherche interne de Revues.org,
qui permet de chercher dans une revue sans passer par le feuilletage.
MP : Est-ce que R2R est un
logiciel que Revues.org a fabriqué ?
MD : Nous avons développé ce logiciel
avec un bénévole qui a travaillé avec des outils informatiques
dits libres, en particulier le Perl et Postgresql, en étroite
collaboration avec nos équipes éditoriales en fonction de
leur cahier des charges. Nous avons donc accumulé une expérience
importante dans ce domaine car les choses sont plus complexes
qu'il ne peut y paraître a priori. Se posent des problèmes
liés aux formats mais aussi aux exigences très précises de
la méthode de publication scientifique, telle que nous l'ont
enseignée nos maîtres. On peut imaginer que le système soit
modifié de façon à produire d'autres formats que du HTML.
C'est la puissance de ce système. Il est constitué d'une base
d'articles qui peuvent être convertis dans un format différent
du HTML. Le XML, en particulier, est tout à fait envisageable.
Evidemment, il faudrait quelques modifications mais ce n'est
pas un gros travail. Nous avons désormais une expérience importante
de la chaine de traitement nécessaire et nous espérons pouvoir
améliorer R2R assez considérablement dans l'avenir car nous
avons un certain nombre d'idées sur la question. Il deviendra
alors R3R. Le cahier des charges de la nouvelle version est
en cours de rédaction.
MP : Il faut tout de même avoir des compétences
informatiques poussées pour l'utiliser ?
MD : Actuellement, oui, dans la mesure
où il tourne sur Linux et où Linux est un système d'exploitation
peu répandu, ce qui est regrettable. Il y a plusieurs solutions
pour ouvrir plus le logiciel. Le porter sur Windows ou sur
le Web, par exemple. Tout dépendra des moyens dont nous disposerons
dans l'avenir. 
MP : Parlons un peu des
formats de production. Vous avez parlé de Word, vous avez
parlé aussi d'un passage à XML. Est-ce que vous êtes prêt,
éventuellement, à suivre, les évolutions de l'édition électronique
qui permettraient de transposer tout ce travail sur des terminaux
de lecture, des écrans portables... pour une meilleure diffusion
des revues électroniques ?
MD : Dans l'idéal, oui. Le problème va
résider dans les moyens que nous pouvons mettre en oeuvre.
Nous avons réussi à faire travailler pendant plusieurs mois
une équipe associant scientifiques et informaticiens. Nous
espérons réussir de nouveau cette prouesse pour ouvrir encore
notre système, mais actuellement, il est vrai, nous butons
sur notre logique bénévole. De ce fait, nous avons des difficultés
de financement importantes mais nous souhaitons développer
les formats les plus universels possibles et s'il le faut,
développer plusieurs versions du site. Le PDF et les formats
du livre électronique sont des perspectives séduisantes parce
que la qualité visuelle est au rendez-vous. J'ai personnellement
une préférence pour la souplesse et le caractère spartiate
du HTML, mais les formats que je viens d'évoquer pourraient
servir de transition entre la papier et l'électronique, parce
qu'ils reproduisent bien plus que le HTML la logique du papier.
Ils pourraient jouer le rôle de chaînon manquant dans l'évolution
de l'édition. 
MP : Pensez-vous seulement
à du texte ou également à une évolution vers du texte associant
des documents multimédia ?
MD : Actuellement, R2R tout comme la
publication manuelle, permettent déjà cela. R2R peut intégrer
des images et d'autres documents multimédia acceptés par le
web. Quoi qu'il arrive, si des motifs éditoriaux le demandent,
des documents Flash, Real audio, Mpeg, etc. peuvent être intégrés
manuellement. R2R est assez souple pour permettre ce type
de manipulation très facilement. Cela offre une souplesse
maximale qui est, à mon avis, très importante.
MP : A ce moment là, c'est une question de ressources
humaines plutôt qu'une question de possibilité d'extension
?
MD : Oui, actuellement tous nos problèmes
sont dûs à un manque de temps de nos bénévoles. Il faut également
tenir compte du fait que les auteurs ne pensent pas encore
leurs articles en fonction du média électronique.

MP : Quelle politique adoptez-vous
avec les feuilles de style ?
MD : Nous avons au départ commencé sans
feuille de style, puis au vu de la puissance de ce système,
nous l'avons adoptée. Cela a posé un certain nombre de problèmes
de compatibilité qui sont très connus dans la mesure où la
guerre des navigateurs a fait beaucoup de mal à la standardisation
et cela est très regrettable. Nous nous sommes documentés
suffisamment pour n'utiliser que les fonctions minimales des
feuilles de style considérées comme universelles et qui fonctionnent
sur tous les supports. Nous avons encore quelques problèmes
sur les Macintosh dans la mesure où la fixation de la taille
des polices en points donne un rendu extrêmement différent
sur Mac et sur PC. Pour une mise en page très réglée, très
mesurée, très précise, en somme une mise en page maîtrisée,
cela pose d'énormes difficultés. Le gros problème n'est pas
la feuille de style, c'est de s'adapter à l'hétérogénéité
des systèmes d'exploitation et des navigateurs. C'est un vrai
problème, assez grave dans la mesure où on est obligé d'en
revenir au plus petit commun multiple technologique et où
on aimerait donner une apparence professionnelle à notre mise
en page. C'est aussi un problème parce qu'il nous fait perdre
beaucoup de temps en tests intensifs et laborieux, qui nous
détournent du travail éditorial proprement dit. Certains sites
proposent des versions spécifiques à des navigateurs, mais
ce n'est pas du tout raisonnable à notre échelle. Nous considérons
que c'est un gaspillage de temps et d'énergie. De plus, s'appuyer
sur les spécificités d'un navigateur relève d'une politique
à court terme. Nous préférons miser sur des normes plus consolidées,
même si en ce domaine il n'y a pas de vérité définitive. 
MP : Avez-vous une
politique de numérisation, d'archivage de numéros rétrospectifs,
afin de diffuser finalement toute l'histoire des publications
de la revue de papier ?
MD : Evidemment, c'est le rêve de notre
Fédération : obtenir une politique rétrospective qui permette
de donner accès à toute l'histoire de chaque revue. Alors,
là aussi, nous butons sur des problèmes de moyens. Nous avons
actuellement en ligne tout ce dont nous disposons informatiquement,
c'est à dire que nous avons récupéré les fichiers depuis que
les revues se sont informatisées en PAO "domestique". Nous
disposons donc de l'intégralité des fichiers de Ruralia puisque
cette revue est née en 1997. Nous avons aussi les Cahiers
d'histoire depuis 1996, c'est-à-dire à partir du moment où
ils sont passés sur Word. Nous sommes en train - à la force
du poignet - d'archiver un certain nombre de choses. Selon
les cas, ce sont les comités de rédaction qui participent
à la saisie, dans d'autres cas, nous faisons la saisie nous-mêmes
; en particulier, nous le faisons pour les Cahiers d'Histoire
et pour la Revue d'histoire du XIXe siècle. A terme, nous
aurons les résumés et les tables des matières de ces deux
revues pour l'intégralité de leur histoire, soit un total
de près de 70 ans à elles deux. Ruralia en a déjà 100 %. Les
Annales historiques de la Révolution française sont en train
de taper les tables des matières et on espère ensuite en avoir
les résumés. Genèses dipose d'importantes archives, qui seront
bien mises en valeur. Nous espérons que la Revue d'histoire
moderne et contemporaine, qui est en train de nous rejoindre,
apportera également une part importante de ses archives. Tout
cela se fait sur le moyen terme mais à l'échelle de la vie
des revues, cela fonctionne relativement vite. Par exemple,
nous avons déjà achevé la saisie de 25 années des Cahiers
d'histoire (tables des matières et résumés) et nous en préparons
la mise en ligne. 
MP : Est-ce que vous
avez idée du modèle économique qui accompagnerait cette entreprise
de conversion rétrospective ?
MD : Pour le moment, tout restera gratuit
et intégralement. Nous pouvons mettre en place une politique
de gratuité partielle, c'est à dire que, par exemple, 75 %
des articles seraient payants mais les 25 premiers % seraient
gratuits de façon à ce que tout internaute puisse accéder
à la plus grande partie possible du contenu et ne paie que
s'il veut vraiment utiliser professionnellement la totalité
de l'article. Bien entendu, ce n'est pas du tout la logique
qui prévalait dans le papier pour des raisons, en fait, essentiellement
techniques. Dans la mesure où les prix de production vont
baisser pour toutes les revues qui seront intégralement électroniques,
on peut très bien envisager d'avoir un accès peu cher, voire
gratuit. Mais, bien entendu, il faudra régler les problèmes
de personnel, puisqu'on n'aura plus les coûts papier mais
les coûts de personnel persisteront. Ils seront même légèrement
supérieurs aux coûts actuels pour des raisons évidentes de
technicité et d'exigence de qualité (mise en page, universalité
des formats, pérénité des solutions, etc.). Nous savons tous
qu'il y a un problème de formats et qu'il ne sera pas résolu
sans professionnalisme. 
MP : Avant de reprendre
toutes ces questions de services et de ressources humaines,
je voulais vous demander si vous avez mis en place des fonctionnalités
particulières. Par exemple : service d'envoi de sommaires,
services d'alertes, moteurs de recherche interne, compteurs
d'usage ?
MD : Ce type de services est bien entendu
l'intérêt majeur de l'électronique et ça a été notre priorité
dès le début. Donc, nous avons mis en place dès l'origine
une lettre d'information : La lettre de Revues.org
qui contient les sommaires de chaque nouveau numéro publié
ainsi qu'un résumé de l'activité scientifique publiée par
Calenda et Virtual Library. L'abonnement est gratuit. Aujourd'hui,
nous avons 1.500 abonnés et ce nombre augmente actuellement
de cinq abonnés par jour, ce qui est relativement important
pour une lettre à haute connotation scientifique. Afin de
ne pas inonder et écraser nos abonnés sous l'information,
nous n'envoyons qu'une lettre par mois qui contient le résumé
de toutes les informations des trente derniers jours. Nous
avons aussi, bien entendu, mis en place un moteur de recherche
interne que nous mettons à disposition de chaque revue. Cela
fait partie du service que nous offrons. C'est ce que l'on
a appelé le Moteur Jaune. Ce moteur est mis à jour automatiquement
plusieurs fois par jour. Il est interrogeable spécifiquement
sur une revue ou sur la totalité des revues ce qui permet
à la fois de respecter l'identité d'une revue isolée et la
logique de la fédération, l'utilisateur choisissant s'il interroge
la totalité de la fédération ou seulement la totalité de la
revue. 
MP : Ce qui permet une
recherche sur le texte intégral de ce qui est mis en ligne...
MD : Exactement. Ce moteur de recherches
n'est pas un moteur par mots clefs. C'est un moteur en texte
intégral. C'est à dire que tout ce qui est publié est archivé
par le moteur et interrogeable. Cela devient intéressant,
puisque Revues.org contient plus de 3 000 pages.
MP : Utilisez-vous des
compteurs ?
MD : Nous utilisons directement les fichiers
de log qui sont surtout accessibles sur tous les serveurs
dignes de ce nom. Chaque visite d'internaute est enregistrée
et analysée. Nous savons par conséquent l'origine géographique,
la fréquence horaire, etc. Nous avons des statistiques importantes
sur chaque revue et sur la fédération dans son ensemble, statistiques
que certains pourraient dénoncer comme une sorte d'audimat
moderne mais, en réalité, il s'agit plutôt d'une information
sur le public des revues. Par conséquent, c'est une donnée
très importante et la croissance du nombre de visiteurs est
à nos yeux un signe de la réussite du projet.
MP : Est-ce que je peux vous demander, globalement,
le nombre de visites ?
MD : A présent, nous en sommes à 14.000
visites par mois ; des visiteurs différents, je dis bien visiteurs
différents et non visites. La croissance mensuelle est d'environ
20% par mois, ce n'est pas négligeable. C'est évidemment un
chiffre à rapporter au nombre de revues au moment où ces statistiques
ont été calculées (seulement quatre revues). Cela fait donc
plusieurs milliers de visiteurs par revue ce qui est considérable
puisque c'est un nombre quatre, cinq ou six fois supérieur
au nombre d'abonnés. Bien entendu, ce ne sont pas des gens
intéressés par la totalité de la revue mais au fond, c'est
bien le sens de la recherche universitaire que d'apporter
ses résultats à un public fin et critique. Avec l'augmentation
en cours du nombre de revues, les statistiques ne peuvent
qu'augmenter. 
MP : Et compte tenu de
ce succès, de cette visibilité accrue, pensez-vous mettre
en place, par exemple, un annuaire de chercheurs ?
MD : Nous avons effectivement prévu de
mettre en place un annuaire électronique de chercheurs en
sciences humaines et sociales. Nous avons les solutions technologiques
pour le faire. Il suffit maintenant de prendre la décision
de mettre en place ce service. Il s'agirait d'un système où
les chercheurs s'inscriraient d'eux-mêmes et ensuite, par
un système de mots de passe, pourraient modifier toute information
les concernant. Ce serait en fait un annuaire autogéré par
la communauté. Nous hésitons encore à lancer cet annuaire
car un certain nombre d'initiatives sur papier existent dans
ce domaine et nous ne souhaitons pas alimenter une confusion
mais plutôt participer à des tâches qui ont réellement un
aspect utile et collectif. Pour le moment, nous repoussons
à quelques semaines ou à quelques mois notre décision dans
ce domaine. Cela ne représente de toutes façons qu'une partie
des projets que nous souhaitons développer. 
MP : Je voudrais que vous
nous disiez un mot sur la charte graphique de la revue. Votre
site donne une impression extrême de clarté. Comment cette
charte graphique a-t-elle été réalisée ?
MD : Très simplement, elle a été faite
par apprentissages successifs et en concertation avec trois
types de métiers. Je pense que c'est l'essentiel de notre
expérience. J'ai commencé à travailler sans connaissance de
la mise en page. J'ai réalisé l'essentiel des choix graphiques
mais avec une coordination permanente avec un professionnel
de l'édition, spécialiste de la mise en page, auquel je soumettais,
et auquel je continue à soumettre mes pages afin qu'il les
juge très sévèrement et me donne des conseils. Comme tous
les collaborateurs de Revues.org, il grignote sur son
temps de loisirs, le week-end et le soir. Par ailleurs, j'ai
utilisé les services, là aussi bénévoles, d'une graphiste
professionnelle qui a travaillé dès la création de Revues.org
sur le logo et sur le fonds d'écran. Ces éléments donnent
une ligne graphique générale simple qui dicte les couleurs
utilisées. Nous avons associé, en fait, des métiers différents
et donc des exigences et des compétences très différents.
C'est ce qui a permis d'obtenir un résultat convenable. 
MP : Y-a-t-il un site
hébergeur et est-ce qu'il y a un miroir au niveau international
?
MD : Revues.org est actuellement
hébergé par l'Université d'Avignon. Elle a répondu rapidement
à nos besoins et très efficacement, ce dont nous lui sommes
très reconnaissants. Nous avons un temps envisagé d'être hébergés
par l'Université de Lyon et nous pourrions être hébergés par
d'autres structures, au sein d'une Université ou ailleurs.
Cela signifie qu'au fond, nous sommes autonomes et indépendants,
ce qui nous permettra, puisque nous disposons de notre propre
nom de domaine, d'être hébergés ailleurs si, pour des raisons
quelconques, nous avions des difficultés techniques ou politiques
avec tel ou tel hébergeur. En ce qui concerne la question
des miroirs, nous n'avons pas encore atteint un taux de fréquentation
justifiant l'existence d'un miroir mais si le nombre de revues
augmentait, nous pourrions sans difficultés, en association
avec nos partenaires, par exemple Virtual Library, demander
à être hébergés sur un serveur à l'Université du Kansas, du
Michigan ou ailleurs. C'est un détail technique qui sera résolu
au moment où nous en aurons besoin. 
MP : Un mot de ce nom
de domaine qui est extrêmement fédérateur. A quel moment l'avez-vous
trouvé et à quel moment l'avez-vous acheté ?
MD : J'ai dû l'acheter à la fin de l'année
1998, à l'époque où on était obligé d'acheter les noms de
domaine aux Américains qui en avaient encore le monopole.
Il était donc relativement cher et l'idée était vraiment de
faire une fédération de revues. Parti de cette idée là, il
fallait trouver un nom et à l'époque, il y avait déjà spéculation
sur les noms et, de façon très surprenante Revues.org
n'était pas encore pris. Le ".org" signifiant "associations
à but non lucratif", il m'a semblé évident que ce nom pouvait
convenir à notre projet. Par conséquent, je l'ai acheté, tout
simplement.
MP : Vous l'avez acheté au pluriel. Est-ce parce
qu'il était déjà pris, par ailleurs, au singulier ?
MD : Le pluriel s'imposait, conformément
à la logique fédérative. 
MP : Parlons maintenant
des aspects juridiques de votre site et de votre service.
Quelle gestion avez-vous du droit d'auteur et du droit de
copie pour les articles de revues ? Toutes ces questions sont
évidemment très importantes à l'heure actuelle.
MD : Nous respectons totalement la politique
de chaque revue. C'est-à-dire qu'en fait, c'est la licence
attribuée à la revue papier qui est appliquée à la revue électronique
mais nous n'avons pas encore développé de politique dans ce
domaine par manque de temps. C'est une question très importante
qu'il faudra que nous soulevions. Nous ne pouvions pas la
soulever avant de montrer concrètement ce qu'était une revue
électronique. Il me semble que la question des licences ne
pourra être résolue que par les acteurs eux-mêmes, c'est à
dire les revues, après accumulation d'une certaine expérience
et non dans le sens inverse. Poser la question des licences
avant la mise en ligne, c'était tuer l'édition électronique
et scientifique d'emblée en suscitant des inquiétudes qui
sont, à mon sens, illégitimes, dans la mesure où les enjeux
commerciaux sont quasi-inexistants si on les compare avec
les millions brassés par les mythiques start-up.
MP : Avez-vous songé à la protection des pages
web des revues qui sont sur votre site ? Avez-vous songé à
établir des contrats de licence pour l'accès aux revues ?
MD : Nous ne restreignons aucunement
l'accès. Même nos statistiques sont totalement disponibles
pour tout le monde puisque nous n'avons rien à cacher. Nous
considérons que l'édition électronique scientifique n'est
pas destinée à construire une citadelle du savoir mais au
contraire des agoras ouvertes. Par conséquent, le principe
même d'une limitation de l'accès n'a pas de sens. En revanche,
nous avons protégé les serveurs de façon correcte pour éviter
de subir des attaques mais en réalité, c'est une question
absolument mineure dans la mesure où Revues.org n'est
pas une cible potentielle importante. Nous ne sommes pas aussi
saillants que la Bibliothèque Nationale de France qui a connu
des difficultés, nous n'avons pas assez de visibilité et nous
sommes très heureux de cet anonymat face aux pirates, dont
bien peu sont des spécialistes des sciences humaines et sociales,
vous en conviendrez avec moi. 
MP : Comment valorisez-vous
Revues.org ? D'abord, avez-vous le temps d'avoir une
approche marketing de votre travail ? Préférez-vous qu'elle
se valorise toute seule ou avez-vous une politique active
de valorisation ?
MD : Revues.org n'a de sens que
par une politique active de valorisation. Par conséquent,
nous avons mis en place, comme je vous l'ai dit, la lettre
de Revues.org qui a actuellement 1.500 abonnés. Mais,
nous avons surtout mis en place une politique de référencement
systématique. C'est l'un des intérêts et l'une des origines
du nombre de visiteurs. Nous avons développé beaucoup d'énergie,
de temps et même d'argent pour faire connaître notre fédération
par des sites web. Nous mettons en ligne une page qui indique
une sélection des universités et des grandes institutions
qui nous signalent. Il y en a près d'une centaine, et des
plus notables. Citons par exemple Yale University, l'Université
de Moscou, la Stanford University, la Göteborg University,
l'Université de Lausanne, European University Institute, l'Université
catholique de Louvain, etc. Nous avons également ciblé les
moteurs de recherche. Nous avons utilisé trois types de méthode
de référencement. A l'occasion de la naissance de Revues.org,
nous utilisé un service commercial de référencement, le résultat
étant médiocre mais massif. Nous avons ensuite affiné avec
un référencement manuel, le résultat étant de grande qualité
mais pointu et enfin, nous avons mis en place un référencement
logiciel. Nous avons acheté un logiciel qui permet le référencement
semi-automatique, mais uniquement sur des moteurs très ciblés.
Il est inutile de travailler en force et d'inonder les annuaires
quotidiennement, c'est une aberration. Cela ne sert à rien
si ce n'est à se faire interdire sur les annuaires et les
moteurs de recherche. Il faut absolument surveiller la question
du référencement qui est une question majeure. Les sites qui
nous amènent le plus de visiteurs sont Virtual Library (Vlib)
et Yahoo, c'est-à-dire l'un des plus grands sites universitaires
mondiaux et l'un des plus grands sites généralistes mondiaux.
Il ne faut pas négliger les deux sources même s'il est certain
que les gens venant de Vlib viennent sur Revues.org
en connaissance de cause, plus que ceux qui viennent de chez
Yahoo, souvent moins connaisseurs.
MP : Avez-vous songé à
d'autres cibles marketing comme, par exemple, la presse écrite,
qu'elle soit en ligne ou imprimée ?
MD : Nous n'avons absolument pas eu le
temps de nous occuper de cela. Nous avons envoyé quelques
mails de signalement à quelques journalistes qui n'ont pas
donné suite sans doute parce qu'actuellement la question de
l'édition électronique scientifique n'est pas médiatisée car
elle n'est pas très affriolante, si vous me permettez l'expression.
Mais il faut attendre, je pense, que la mise en ligne électronique
puisse devenir un événement, même un petit événement, ce qui
n'est pas encore actuellement le cas puisqu'il faut bien se
rendre compte que les revues scientifiques elles-mêmes ne
font pas de comptes-rendus de site comme elle font des comptes-rendus
d'ouvrage. Cela signifie que la publication en ligne n'est
pas encore tout à fait considérée comme légitime. 
MP : Est-ce que
vous avez songé à valoriser votre site auprès des bibliothèques
et des bibliothèques universitaires en particulier ?
MD : Les bibliothèques universitaires
dynamiques nous référencent très bien dans leurs catalogues
de signets. Il y a, semble-t-il, un problème d'inertie avec
la BNF, puisque j'ai fait une demande de référencement il
y a deux ans déjà. J'ai ensuite répété mes demandes, sans
jamais recevoir de réponse. Je considère que cela pose un
vrai problème, parce que nous faisons ce travail bénévolement
et qu'un petit soutien de la part d'une institution telle
que la BNF me semble être un minimum. Paradoxalement, Yahoo
est plus rapide. C'est un comble quand il s'agit de recherche
universitaire. Je rappelle que le budget de cette institution
est de l'ordre de plusieurs milliards. Il est pour le moins
étonnant qu'elle s'avère incapable de signaler de façon rapide
et efficace des sites francophones de haut niveau et sans
but lucratif. 
MP : Avez-vous édité
vous-même des plaquettes, des brochures pour faire connaître
ce service ?
MD : Nous n'en avons pas les moyens financiers
et nous préférons utiliser toute la puissance de l'électronique
pour minimiser nos coûts, puisque nous sommes une structure
économiquement très légère. En revanche, nous proposons en
ligne une affiche en format PDF, disponible à toute internaute
qui souhaite diffuser l'information. Il suffit qu'il l'imprime.
Elle est au format A4, universellement téléchargeable dès
lors que vous avez Acrobat Reader et vous pouvez très bien
la mettre dans les couloirs de votre institution de recherche
ou de votre biblio- thèque. A mon avis, c'est le moyen le
plus efficace pour ouvrir le cercle au-delà des internautes
chevronnés; c'est le type d'affichage bénévole et militant
que peut faire un bibliothècaire ou un chercheur qui s'intéresserait
à la question. 
MP : Venons-en maintenant
aux aspects purement économiques de ce projet. Nous allons
parler des coûts de ce service, des ressources humaines aussi,
de son évolution, de l'avenir que vous envisagez.
MD : En réalité, actuellement, Revues.org
ne nous coûte rien si ce n'est, bien entendu, de la sueur
et du temps. C'est un système qui fonctionne bénévolement,
comme beaucoup de revues scientifiques d'ailleurs. Nous avons
donc minimisé les coûts au maximum et nos membres, en fait,
supportent le poids de ce coût sur leur comptabilité personnelle,
en particulier pour les coûts de connexion, d'équipement informatique,
de logiciels, de déplacements. Notre caractère fédératif nous
disperse un peu partout en France et il faut bien se déplacer
pour former tel ou tel collaborateur, pour se réunir afin
de préparer l'arrivée d'une nouvelle revue, etc. Le coût de
la transition du papier au numérique, en réalité, n'est pas
matériel. Il s'agit essentiellement d'un coût humain et si
l'on voulait réellement mettre en place une structure qui
rémunère le travail, il serait difficile à estimer. Cela dépend
beaucoup des solutions logicielles mises en place. Il y a
différentes technologies possibles qui peuvent être plus ou
moins longues à utiliser. Je considère qu'une équipe de quatre
à cinq personnes disposant de R3R (version sur laquelle nous
sommes en train de travailler), peut mettre en ligne cinquante
ou cent revues sans trop de difficultés, bien entendu avec
la collaboration active de chacune des revues. Il s'agit de
partenariat et non pas d'une délégation de travail qui serait
de toutes façons préjudiciable à la maîtrise par les revues
de la publication. En ce qui concerne les revenus, de la même
façon que nous avons peu de dépenses, nos recettes sont maigres.
Pour le moment, nous n'avons aucune subvention. Nous fonctionnons
sur les modestes cotisations payées annuellement par les revues
qui sont adhérentes à la fédération (actuellement 1500F par
an). Il n'y a pas de système d'abonnement pour l'internaute,
pas de publicité, pas de vente d'archives ni de numéros à
l'unité. Toutes les ventes suscitées par le site transitent
par le courrier électronique puis postal et reviennent intégralement
aux revues. Nous ne prélevons pas de commission. Par conséquent,
il n'y a actuellement pas de problème économique dans Revues.org
mais il y a un problème de bénévolat, ce qui n'est pas tout
à fait la même chose. 
MP : A ce sujet, pouvez-vous
nous dire combien de personnes sont employées et le temps
que prend ce service sur vos journées ?
MD : C'est une question un peu difficile
et délicate mais il est certain que cela ressemble presque
à un temps plein pour au moins une personne et même plutôt
un temps plein nocturne puisque cette personne a un travail
à assumer le jour. Il y a presque cinquante universitaires
qui travaillent pour Revues.org. Il y a aussi des programmeurs
qui travaillent ponctuellement pour nous. Il s'agit alors
d'un travail vraiment très intensif qui occupe toutes nos
nuits pendant des semaines. La mise en place de R2R a pris
quatre mois, plusieurs centaines d'email et un travail continu
énorme. De la même façon, la mise en place de Calenda a demandé
aux programmeurs un travail considérable. A ceci s'ajoute
évidemment le travail des équipes de réalisation des sites,
ce qui représente quelques semaines de travail par an et par
site selon l'ampleur du site et la technologique utilisée.
Il y a également toutes les équipes de Calenda et de Vlib,
chaque rédacteur travaillant assez régulièrement sur les nouvelles,
les commentaires de sites, ou d'autres tâches de communication,
de gestion des équipes, etc. Le problème soulevé par cette
question est assez simple, au fond. Le bénévolat a la force
de l'énergie mais en réalité il a aussi la fragilité de sa
souplesse. Il faudrait une structure plus élaborée, mieux
financée et professionnalisée autour de métiers. C'est d'ailleurs
ainsi qu'est structuré Revues.org avec un travail scientifique,
un travail de concertation et de programmation des développements
futurs, un travail de webmestre, un travail de rédaction,
d'informatique et de secrétariat. Tous ces métiers sont différents,
l'essentiel étant vraiment qu'on ne peut fonctionner dans
une telle structure sans double compétence, voire triple compétence.
Cette diversité de compétences est nécessaire à deux titres
: d'abord parce qu'un webmaster qui ne comprend rien à ce
qu'est l'édition électronique scientifique aura tendance à
copier Yahoo et ne comprendra pas l'intérêt des notes de bas
de page. Mais aussi, et c'est plus important encore, parce
qu'il faut que chaque corps de métier communique avec l'autre.
Cela ne veut pas dire qu'il faut que chacun maîtrise absolument
les compétences de tous, mais qu'il comprenne l'univers dans
lequel gravite l'autre. C'est absolument indispensable et
devrait nous amener à réfléchir sur les filières et les principes
de formation supérieure. L'édition électronique fait converger
des besoins très divers. On ne peut se passer d'aucun de ces
aspects et tous sont nobles. 
MP : A ce sujet, pensez-vous,
puisque vous êtes engagé dans l'enseignement et la recherche,
que vous n'êtes pas informaticien de profession mais Professeur
d'histoire, qu'il y a de la place pour des services comme
le vôtre au sein des structures universitaires à l'heure actuelle
?
MD : Je n'en sais rien, à vrai dire.
Ce qui est certain c'est qu'il faudrait, d'après moi, ne pas
parler de service puisque Revues.org n'est pas destiné
à fournir un service aux revues mais à participer avec elles
à une aventure éditoriale. A partir de là, je ne crois pas
que l'on puisse tout à fait séparer le métier de chercheur
de celui d'éditeur. De fait, les revues sont publiées par
les universitaires et si on séparait les deux métiers, je
pense qu'on perdrait beaucoup d'indépendance et on déconnecterait
la pensée de sa transcription concrète. 
MP : Pensez-vous qu'il
y ait urgence à aboutir à cette fusion des métiers ?
MD : Il y a bien entendu urgence dans
la mesure où nous sommes dans une période où les choses vont
très vite, où des enjeux économiques sont en train d'émerger
de façon très conséquente, en particulier sur le modèle américain.
On sent que le besoin de "contenu" est de plus en plus important.
Que les fournisseurs de tuyaux ont de plus en plus besoin
de valoriser ce que l'on appelle sans discernement des portails
et que le contenu culturel fait partie de leur stratégie.
La recherche n'est plus dissociée de la société civile et
il se pourrait qu'un jour on se réveille avec un univers éditorial
complètement dominé par la Lyonnaise de Eaux, par Microsoft
et d'autres grands groupes informatiques ou industriels. Je
ne suis pas certain que les universitaires y retrouveraient
leurs petits et qu'ils y ont intérêt d'un point de vue scientifique.
Il y a urgence car un modèle de publication scientifique non
commercial est tout à fait possible. Il est abordable avec
les moyens dont dispose la recherche française et il est d'autant
plus important que l'enjeu est ici international. La domination
américaine sur la recherche et sur la diffusion de la recherche
pourrait s'accentuer par l'édition électronique alors que
ce média représente aujourd'hui une véritable opportunité
d'avoir une place à notre mesure dans la recherche internationale.

MP
: Pensez-vous que d'autres modèles d'édition de revues électroniques
puissent être mis en place comme un modèle d'édition commerciale
associée à des universitaires, c'est à dire au fond la transposition
de ce qui se passe parfois pour les grandes revues papier
ou bien des bases de données auxquelles on souscrirait par
abonnement ?
MD : En France,
pour l'instant, la dynamique scientifique réside essentiellement
dans le secteur public et dans l'univers associatif. Il faut
par exemple souligner le travail admirable réalisé par l'ARTFL
(INALF et Université de Chicago). C'est vraiment un travail
extraordinaire, simple et utile, définitif à mon avis. D'autres
travaux sont possibles et il est probable que l'on ne pourra
pas faire l'économie d'une collaboration avec le secteur privé
dans certains domaines. Tout dépendra de la philosophie des
projets proposés. Plus les chercheurs délaissent la maîtrise
technologique de l'édition électronique, plus ils se placent
en demandeurs, et non plus en partenaires du secteur privé.
MP : Terminons sur une question peut-être plus
personnelle. Vous êtes jeune, vous avez 29 ans, vous avez
toute votre carrière universitaire à construire et vous voulez
surtout être reconnu comme enseignant et chercheur plus que
comme informaticien ou webmestre. Combien de temps pensez-vous
pouvoir continuer cette implication dans Revues.org
?
MD : D'un point
de vue strictement personnel, il est certain que la réalisation
de Revues.org prend du temps sur la thèse. On ne peut
pas mécaniquement faire autrement. Personnellement, j'y vois
beaucoup de gratification humaine parce que j'ai le sentiment
de participer à une réalisation collective au sens que tout
chercheur est intégré à une communauté et que son devoir est
d'y participer. Mais il est certain qu'à court terme, je vais
éprouver un certain nombre de difficultés à rendre les deux
éléments compatibles, à associer les deux travaux. J'arrive
malheureusement à une période de ma carrière où il va falloir
que je fasse un choix et ce choix, quelqu'il soit, sera regrettable.
Il me semble que le travail d'un chercheur, c'est à la fois
de mener une recherche personnelle et de s'impliquer dans
une communauté. J'ai bien peur d'être contraint d'abandonner
l'un ou l'autre de ces objectifs. 
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